Papyrologues et chercheurs en rupture : les éditions de S. Maġāwrī

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Papyrologues et chercheurs en rupture : les éditions de S. Maġāwrī  

Lors de notre dépouillement systématique de la revue al-majalla al-tārīkhiyya al-miṣriyya éditée au Caire par Kulliyyat al-ādāb (l'université de lettres-Le Caire), nous avons trouvé quelques documents légaux édités par le chercheur égyptien Saʿīd Maġāwrī Muḥammad qui ont attiré notre attention. Deux articles ont été édités successivement : dans le premier édité en 2005 numéro 43 p. 445-456, nous trouvons quatre documents sur papyrus qui ont comme thème principal la vente d'esclaves à la lumière des documents; le deuxième article a pour sujet le commerce des animaux dans les documents sur papyrus et autres 2007 (45) p. 111-162. Nous y reviendrons pour en dire deux mots.

Les documents dans le premier article sont :

  1. un contrat de vente conservé au musée islamique du Caire sous le numéro 21191; il comporte 14 lignes et est daté de rabīʿ I 367/ 24 octobre 977.
  2. Une transaction d'une esclave noire comporte 15 lignes et qui est conservé à Cambridge Université-Library sous le numéro d'inventaire P_Cam_Michaelides_Charta B. 48.
  3.  Acte de vente d'une Nubienne conservé à British Library signé le 7 ramaḍān 372/ 23 février 983.
  4. Un document inventorié sous le numéro 1900 et conservé à la bibliothèque nationale du Caire. Il est édité par R. Khoury en 1993 et par A. Grohmann. (Chrestomathie de Papyrologie Arabe - Documents relatifs à la vie privée, sociale et administrative dans les premiers siècles islamiques, II-2 Leiden, E.J. Brill, 1993, p. 94-95, Notice numéro 53).

La première remarque : ces quatre documents avaient déjà été édités par d'autres chercheurs, en particulier Y. Raġib qui a édité en 2002 le premier document de la liste sus mentionnée ainsi que le deuxième et le troisième. Ce dernier fit l'objet d'une autre édition par R. Khoury en 1993 lequel avait repris l'édition faite par A. Grohmann. Il en va de même pour le dernier document.  

S. Maġāwrī nous annonce dans son article qu'il édite ces documents pour la première fois, sans faire aucune allusion aux autres éditions précédentes. Il se peut qu'il n'ait pas été au courant des éditions faites par Y. Râġib à l'IFAO (Egypte) mais nous nous interrogeons sur l'absence de la mention de l'édition du premier document faite par ʿA. Fahmī en 1973 dans Majallat al-majmaʿ al-ʿilmī al-miṣrī numéro 54, pp. 1-58.

Nous allons essayer dans ce propos de relever quelques divergences de lecture.

A la ligne 6 du document, S. Maġāwrī a lu le troisième mot nāyta qui pose problème et qui ne veut rien dire dans ce contexte alors que Y. Rāġib propose nātiyat, du verbe nata'ā, qui a le sens de saillant et proéminent en décrivant le front de l'esclave. A la première ligne après la basmala, nous trouvons une autre mauvaise lecture ištaratī au lieu de ištarat comme l'avait lu et proposé de le corriger S. Maġāwrī à sa manière. C'est le document qui impose cette lecture et en cas de modification ou de correction une note aurait dû être faite afin d'éclairer le lecteur. 

Nous finissons ces remarques avec la lecture différente du nom du dernier témoin (ligne 15), qui est lu Ḫalfūn par Y. Rāgib, réfutant ainsi la lecture de ʿA. Fahmī qui avait proposé Ḫalqūn. Cependant S. Maġāwrī propose une lecture complètement différente en proposant Ḫaldūn. De notre part nous penchons pour les deux premières lectures mais en aucun cas pour Ḫaldūn car nous n'apercevons pas la lettre dâl. 

Nous avons repéré également dans le deuxième document quelques erreurs faites lors du déchiffrement du document par S. Maġawri et parfois même des mauvaises lectures, vides de tout sens linguistique ou juridique.   

Nous citons un exemple dans le deuxième document aux lignes 14 et 15 : l'auteur a lu lā junūn wa lā ġish wa lā daʿwā…fihi, alors que la lecture de Y. Rāġib, plus proche du cadre historique de l'époque et surtout du contexte juridique du document, propose …wa lā ʿišā' wa lā daʿwān fīhi qui veut dire "n'est pas folle, ni héméralope ni objet de demande " comme il l'a traduit à la page 17 de son livre, Actes de vente d'esclaves et d'animaux d'Egypte médiévale I, 2002.

Quant au troisième document il fit pareillement l'objet d'une édition et d'une traduction par Raif G. Khoury. Ce même document fit l'objet en 2002 d'une réédition par Y. Rāġib qui a ajouté quelques notes en proposant quelques nouvelles lectures. Nous nous contentons de citer un exemple qui marque une divergence de lecture : à la ligne 7, S. Maġawrī a proposé le terme al-waṣfiya ce qui n'a guère de sens. Le mot veut dire, comme nous le proposent Rāġib et Khoury, waṣīfa, qui veut dire esclave. De même, signalons des ajouts de la lettre alīf  dans quelques mots comme aux lignes 2 et 6 pour les mots ʿašr et dinâr qui dénaturent le texte original sans qu'ils soient mentionnés dans les notes. 

Dans le deuxième article publié en 2007 dans la même revue, S. Maġāwrī s'est rendu compte que Y. Rāġib avait déjà édité l'ensemble de ces documents depuis 2002. Il cite ses travaux plusieurs fois en proposant de temps en temps une nouvelle lecture ou une simple modification comme c'est le cas aux pages 121 et 125.

Dans le cadre d'une étude sur le commerce des animaux à partir de documents  sur papyrus qui remontent au premier siècle de l'hégire, S. Maġāwrī a proposé une nouvelle lecture de l'ensemble des documents déjà édités par d'autres papyrologues,  suggérant quelques modifications et rédigeant un long commentaire à la suite de chaque document. Nous avons jugé utile de les mentionner afin de mettre en relief  ces multiples lectures et éclairer les spécialistes travaillant sur ces types de documents.  

 Dans le document P. Berol. Inv. 8011 –quittance du prix d'un cheval- une certaine dissimilitude se manifeste au niveau des noms des témoins : à la ligne 15 Maġāwrī propose de lire le premier témoin Biqām, en se référant à A. Grohmann et non Bifām comme l'a fait Rāgib (vol. I, p. 83). Dans son commentaire p. 130, il précise que ce nom est d'origine copte et très fréquent dans ce milieu. Quant au deuxième témoin, Maġāwrī propose de lire Burhān et non Rayḥān comme l'avait lu Rāġib ou Raḫmān lu par Grohmann auparavant. Il nous est quasiment impossible de trancher ni de prendre une quelconque position à la simple lecture à partir de l'image actuellement à notre disposition. Cependant, dans notre base CALD, nous avons pu dénombrer 18 fois le nom Biqām alors que Bifām n'est mentionné que 7 fois. Mais les deux noms existent et il est impossible de trancher dans la mesure où le document ne porte pas de points diacritiques.  

Le document P. Rylands inv. B. I.I qui a comme thème la reconnaissance de la vente de deux ânes : à la deuxième ligne, bien que le dernier mot ḥimārayn (les deux ânes) soit parfaitement lisible avec et nūn, signe grammatical de duel, Maġāwrī l'a lu avec alif et nūn. Ce changement n'est qu'une manière de corriger la phrase grammaticalement. Cette lecture, pensons-nous, dénature le document et lui fait perdre son authenticité surtout que l'auteur ne signale nulle part cette modification.

Quant au nom du troisième témoin, le sens de la phrase nous permet de lire ʿalā iqrār (de la reconnaissance) et non comme l'a lu Maġāwrī  le nom propre ʿAlī.     

Pour finir, nous signalons que dans la nouvelle édition de ce document l'éditeur n'a fait aucune allusion aux trois lignes écrites au verso en langue copte, résumant le contenu du contrat pour l'un des contractants qui était un Copte. Pour plus de détails nous orientons le lecteur vers l'édition de Y. Rāġib (vol. I, p. 88).

Ces remarques n'ont bien entendu pas pour objet de réduire les mérites de ce bon travail. Le fait de rééditer ces documents en proposant une nouvelle lecture ou même de simples modifications est fort utile pour l'avancement de la recherche. En effet, reprendre des documents édités, même par des éminents savants comme R. Khoury, A. Grohmann ou Y. Rāġib, et proposer sa propre lecture à partir d'une certaine approche est, pensons-nous, profitable voire fructueuse pour tous les spécialistes dans le monde arabe ainsi que dans le monde occidental. Notre noble et ultime souhait est de rapprocher les résultats de leur recherche et participer ainsi à écourter les distances.       

Voici pêle-mêle quelques erreurs élémentaires ou inexactitudes présentes dans ces deux articles édités en 2005 et en 2007 dans al-majalla al-tārīkhiyya al-miṣriyya.