De nouvelles perspectives de recherche sur les documents arabes légaux, à l’issue du Projet européen « Islamic Law Materialized » (2009-2013)

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Le projet européen « Islamic Law Materialized » (ILM, http://www.ilm-project.net/) dirigé par Christian Müller, responsable de la section arabe de l’IRHT, a pris fin le 31 décembre 2013 après un colloque international organisé à Rabat du 13 au 15 novembre 2013 au Centre Jacques Berque. Cette rencontre, qui réunissait une vingtaine de spécialistes, est venue clore cinq années de recherche fructueuses consacrées à l’histoire du droit musulman à travers les actes de la pratique judiciaire. L’objectif du projet ILM consistait en une analyse de la relation étroite entre les documents légaux, vestiges de la pratique pré-moderne du droit, et la pensée juridique (fiqh), sur une période allant des débuts de l’islam à la fin du xve siècle.

Jusqu’au milieu du siècle dernier, on croyait, en effet, le caractère théorique du droit musulman fermement établi, grâce aux travaux de Joseph Schacht et de Noël Coulson notamment. Au cours des trente dernières années cependant, des recherches novatrices ont commencé à remettre en question l’idée de l’immutabilité de la déontologie juridico-religieuse.

Dans cette optique, les membres du Projet ILM ont réuni dans une base de données innovante, CALD (Comparing Arabic Legal Documents), 2397 actes légaux arabes complets ou fragmentaires, rédigés dans une vaste zone géographique allant d’al-Andalus à l’Asie centrale. Près de la moitié de ces actes sont inédits et proviennent essentiellement des corpus encore peu exploités d’al-Andalus, d’Égypte et de Jérusalem.

La question préalable à l’origine du Projet ILM était la suivante : « Comment les documents légaux reflètent-ils la pratique du droit musulman (fiqh) ? Dans quelle mesure leur structure a-t-elle évolué dans le temps ? ». Cela supposait de définir précisément la nature d’un « document légal ». En effet, si les documents administratifs, décrets, règlements, lettres officielles, correspondances administratives, etc. jouent un rôle certain dans la vie juridique, ils n’ont pas été retenus dans un premier temps par le projet ILM. L’accent a d’abord été mis sur les actes portant les noms de témoins, le témoignage étant une condition nécessaire pour sauvegarder les droits subjectifs.

Les collaborateurs d’ILM ont créé une typologie pointue dans la base de données CALD et ont classé les actes par catégorie : ventes, contrats de mariage, inventaires après décès, reconnaissance de dettes, etc. Chaque document a ensuite été découpé en séquences textuelles numérotées afin de faciliter la recherche, mais aussi d’utiliser des outils d’analyse pour comparer la structure des documents.

À l’issue du projet, étant donné la complexité de la base CALD et l’importance quantitative des documents inédits qu’elle contient, les membres ont décidé de mettre en ligne une seconde base CALD, homonyme par son sigle mais au contenu différent (A Corpus of Arabic Legal Documents, http://cald.irht.cnrs.fr/), dans laquelle ils intègrent progressivement les documents édités. Destinée à un large public, elle donne accès à la consultation de quelque 200 documents juridiques, et une inscription en ligne permet d’utiliser des outils de recherche avancés.

Le colloque de clôture du Projet ILM, intitulé « Repenser le droit musulman classique, le fiqh est-il applicable en tant que droit ? », nous a permis de revenir sur la question du système juridique en terres d’Islam, de discuter des résultats du Projet et de proposer de nouvelles perspectives de recherche pour repenser le prétendu antagonisme théorie/pratique en s’appuyant sur l’important corpus des bases de données CALD.